source: L'est republicain
Les "sans frontières" à Strasbourg
20.Jul.02 - Deux mille militants du réseau No Border sont attendus dans la capitale alsacienne pour dénoncer l'"arsenal répressif" de l'Europe à l'encontre des étrangers.
Trois containers-poubelles barrent l'entrée du Parc du Rhin. Le campement international de ceux qui s'affichent comme les défenseurs de "la liberté de mouvement et de la solidarité entre les peuples" est pourtant interdit aux policiers et aux journalistes. "On se méfie", s'excuse Jacob. "On ne veut pas que les militants soient filmés ou photographiés, puis fichés. C'est aussi pourquoi personne ne donnera son véritable nom."
De l'autre côté de cette frontière très symbolique, un village de petites tentes anarchiquement plantées sur le gazon semble dormir sous le soleil.
Les campeurs, plutôt jeunes, viennent de différents pays d'Europe mais aussi d'Afrique et d'Amérique du Sud. Ils sont à Strasbourg pour mener, du 19 au 28 juillet, dix journées d'actions sous les auspices du réseau No Border (sans frontières) qui regroupe des collectifs anti-mondialisation, des mouvements de chômeurs, des associations de sans-papiers ou d'aide aux immigrés que la police a indistinctement qualifiés d'"anarchistes".
Au programme : des manifestations théâtrales dans les rues de la capitale alsacienne, des ateliers-débat sur l'immigration, sur la liberté de communication et de mouvement. Une manifestation devant la Cour européenne des Droits de l'Homme est également prévue. Le réseau Sans Frontières animera encore quelques soirées dans les banlieues, une rencontre est prévue avec la famille de Bilal, ce petit garçon qui a fait une chute mortelle dans un ascenseur.
De puissants ordinateurs
Que veulent les militants de ces associations très disparates ? "Construire une Europe sans frontières, sans nation, sans contrôle social", explique Claude. "Il s'agit de dénoncer tout l'arsenal répressif mis en place par les pays européens pour lutter contre l'immigration, contre les mouvements contestataires. Cela touche les plus pauvres et les plus démunis".
Jacob précise : "Je revendique le libre choix pour les étrangers de s'installer là où bon leur semble". Jacob est originaire de Rennes. Ce clown-jongleur professionnel de 21 ans rappelle que le campement se tient à Strasbourg qui abrite le plus discrètement du monde le fameux SIS (Système d'information Schengen) grâce auquel on fiche et on piste des millions d'individus.
"Nous sommes opposés au contrôle systématique des individus dont le SIS est le symbole", ajoute Claude en expliquant que ce réseau informatique en étoile auquel sont connectés une quinzaine de pays a son centre à Strasbourg. Et plus précisément dans un immeuble situé 52, rue de la Faisanderie à Neuhof. Un vrai blockhaus à l'intérieur duquel sont installés de puissants ordinateurs gérant de gigantesques banques de données.
Désobéissance civile
"Il y a déjà 14 millions de signalements", croit savoir Emilien, 28 ans, qui se définit lui-même comme "libertaire". "Les policiers, les gendarmes les douaniers, le ministère des Etrangers disposent de 15.000 terminaux en France."
Créé après les accords de Schengen, le SIS est un système de surveillance unifié visant à renforcer les contrôles sur l'espace Schengen. Il centralise, entre autres, les dossiers des étrangers qui ont fait l'objet d'une décision de non admission, de renvoi, d'expulsion dans l'un ou l'autre des états membres. "Avec ce système, on assiste en fait à une prolifération des frontières", remarque un militant.
D'où le débat engagé par No Border de créer "un laboratoire de résistance créative et de désobéissance civile", en menant des campagnes contre les sociétés ou compagnies qui se prêteraient à l'expulsion d'immigrés. "D'ores et déjà, des actions ont été menées contre des compagnies d'aviation, en France et en Allemagne ou contre des chaînes d'hôtel qui aidaient les polices à renvoyer les immigrés dans leur pays d'origine", explique Claude.
Les campeurs arrivent par petits groupes. Beaucoup se connaissent. Ils se sont rencontrés à Tempere, à Gênes, à Munich ou Amsterdam. Aujourd'hui, ils penseront à Carlo Giuliani, ce jeune manifestant tué lors des violents affrontement avec la police au sommet de Gênes, le 20 juillet 2001.
Marcel Gay