Equipe juridique: Bilan et bases de fonctionnement pour la suite
(bilan rédigé par l'équipe juridique telle qu'elle à fonctionné pendant le campement)
05.Nov.02 - Ce texte doit nous permettre à la fois d'évaluer le travail fourni par l'équipe juridique en fonction des objectifs fixés avant le campement et de poser les bases du fonctionnement ultérieur, l'il-legalteam étant appelée à continuer son activité tant que les suites juridiques liées au campement ne sont pas terminées. Nous espérons aussi que ce bilan pourra contribuer à une réflexion plus générale sur l'auto-organisation en matière de réaction à la répression et être utile à tous ceux qui voudraient se lancer dans des initiatives semblables en d'autres occasions. Nous nous réfèrerons aux divers textes qui ont jalonnés l'élaboration de l'équipe juridique avant et après le campement (en particulier Fonctionnement de l'équipe juridique, rédigé avant le campement et intégré au Guide du campement, Comment continuer et Ni bons ni mauvais rédigés juste après le campement et Campement No Border, les suites élaboré plus tard sur la base du texte précédent pour organiser la mobilisation et la solidarité financière, textes fournis en annexe). Pour évaluer l'évolution de l'équipe juridique, ce bilan sera organisé chronologiquement en trois phases: avant, pendant et après le campement.
La préparation
Nous nous sommes retrouvés à un petit nombres de personnes investies par ailleurs dans la préparation du campement No border et avons élaboré une proposition de fonctionnement auto-organisé de l'équipe juridique qui a été retenue par l'ensemble des groupes et individus préparant le campement. Cette conception se démarquait des legalteam précédentes (en général mises en place à l'occasion des contre-sommets) en ce l'équipe juridique projetait d'être composée non pas d'avocats et de juristes mais de participant-es au campement, qui feraient ensuite l'interface avec les avocats en cas de suite judiciaires. Cette conception nous avait semblé parfaitement cohérente avec la perspective générale d'autogestion proposée par l'ensemble du camp et déclinée sur des modes divers selon les différentes activités du campement (des cuisines à l'organisation de manifs et d'actions en passant par la construction des infrastructures). Auto-organiser le rapport à la répression nous a paru par ailleurs être le meilleur moyen pour y réagir efficacement: maîtriser l'information en terme de répression pour permettre une réaction rapide de l'ensemble des participant-es au campement, et décider collectivement des modes de défense qui engagent toujours des décisions politiques. En outre ce mode d'organisation collective nous a paru le mieux à même de responsabiliser tou-tes les participant-es au campement pour permettre que les initiatives d'action ou de manifs sur place soient organisées en connaissance de cause alors même que la plupart des participant-es, souvent étrangers, ne connaissaient rien du fonctionnement policier et judiciaire français. L'enjeu en terme d'organisation était donc assez énorme: diffuser dans toutes les langues l'information de la manière la plus immédiatement utilisable possible, s'organiser sur place pour faire face aux arrestations sachant que le campement rassemblerait autour de 2000 personnes très hétérogènes et qu'aucune limites n'étaient posées en terme de modes d'actions et de prises d'initiatives (nous ne savions pas d'avance à quels événements nous devrions faire face et ne pouvions que difficilement nous faire une idée de la réaction de la préfecture au campement).
Nous avons donc commencé par élaborer deux guides, un pour les manifestant-es en général, issu du guide du CAMI , l'autre plus spécifiquement destiné aux sans-papiers, issu de l'expérience de certains d'entre nous dans les luttes de sans-papiers en France. L'écriture de ces guides a été l'occasion qu'un certain nombre de personnes motivées rejoignent l'équipe juridique. Nous avons cherché à ce que l'équipe s'élargisse à des non-francophones et avons relativement échoué dans cet objectif: les guides on été très rapidement et efficacement traduits, mais très peu d'étrangers ont rejoints l'équipe juridique qui est encore maintenant presque uniquement franco-française. Nous sommes pour partie responsable de ce problème : étant entre français depuis le début et ne maîtrisant que très peu d'autres langues, surtout pour parler de choses aussi complexe que les questions juridiques, nous avons fait trop peu d'efforts pour traduire et du coup ça a fonctionné comme un cercle vicieux (comme on était entre français, on ne traduisait pas et comme on ne traduisait pas, c'était très difficile pour des non-francophones de nous rejoindre).
Au vu de la situation strasbourgeoise (très peu de contacts des groupes locaux avec des avocats militants) et de l'ampleur que pouvait prendre la répression, nous avons décidé de fonctionner avec les avocats commis d'office, ce qui nous permettait de donner une consigne simple en cas de problème, tout en prévoyant de faire intervenir d'autres avocats en cas de suites sérieuse. Nous avons élaboré un dossier très complet que nous avons transmis le plus largement possible aux avocats strasbourgeois et aux groupes comme le GISTI. Nous avons en outre décidé de rencontrer tous les avocats commis d'office pendant la durée du camp, pour les prévenir de notre mode de fonctionnement et pour rencontrer au passage quelques avocats qui seraient disposés à travailler avec nous ensuite. Ces rencontres ont été très positives, nous avons effectivement trouvé à ces occasions quelques avocats qui sont intervenus et interviennent encore pour la défense des inculpé-es, et nous avons à chaque fois emmené avec nous des participant-es au camp qui n'était pas dans l'équipe juridique pour contrer la spécialisation galopante qui nous guettait
On peut dire que notre travail s'est bien imbriqué dans la préparation générale du campement et nous avons eu des échanges très efficaces avec les autres commissions (en particulier sur les question techniques, avec le groupe des médias libres qui ont pris en compte nos remarques pourtant très critiques sur le rapport aux images durant les manifestations et les actions, et avec l'équipe médicale ce qui a permis de rédiger un petit texte en commun de conseils pratiques aux manifestants). Nous avons par ailleurs réussi à poser un débat qui nous tenait à c?ur sur la non judiciarisation des problèmes interne au campement (voir Fonctionnement de l'équipe juridique) et, même si ce point aurait gagné à être discuté de façon plus approfondie, nous avons obtenu un accord général de l'équipe de préparation du camp.
En revanche ceux d'entre nous qui étaient là avant le campement ont dû rester bloqués derrières les ordinateurs et ont eu du mal à participer au reste de la préparation, ce qui est dû au fait que nous étions déjà trop peu nombreux pour les objectifs qu'on s'était donné.
Pendant le campement
On peut dire globalement que l'équipe juridique a réussi à fonctionner en répondant aux principaux objectifs qu'elle s'était donnés, mais avec un nombre insuffisant de personnes, sans parvenir à s'élargir suffisamment. Quelques personnes nous ont rejoint sur le campement et l'il-legalteam à l'heure actuelle est largement composée de ceux qui nous ont rejoint. Nous avons réussi à établir un accord suffisant pour travailler efficacement ensemble. Deux problèmes cependant: le manque de non francophones et le fait que, toujours pris dans le même cercle vicieux encore plus fort puisque nous étions pris dans des contraintes d'efficacité immédiate, nous n'avons pas laissé assez de place pour que pus de personnes s'investissent à nos côtés (nous avons même hélas découragé involontairement des bonnes volontés, faute de transmission suffisante du minimum de savoir juridique nécessaire). En gros, le travail de l'équipe juridique, pris dans la gestion de l'urgence à partir des premières interpellations massives, n'a pas pu être assez serein.
Les ateliers d'échange de savoir pour compléter l'usage des guides ont été positifs mais pas assez nombreux et auraient nécessité un relais qui n'a pas souvent eu lieu (quelques groupes ont envoyé une ou deux personnes y assister qui ont ensuite retransmis les informations à l'ensemble de leur groupe, fonctionnement qui s'avère très efficace mais ne s'est pas généralisé). En revanche le projet d'organiser des discussions générales sur le rapport au droit et à la répression sur l'unification européenne, sur le mandat d'arrêt n'a pas véritablement abouti, faute de temps et de disponibilité ; du matériel de réflexion et d'information a cependant été réuni sur ces questions, il est toujours disponible et la liste il-legal pourrait gagner à être aussi un lieu de débat général sur ces problématiques.
L'objectif de trouver rapidement les infos sur les personnes interpellées et de réagir rapidement a été bien rempli (même lors de la manifestation du 24, et pour la comparution immédiate d'Ahmed où nous avons réussi en deux jours à réussir le maximum de pièces nécessaires à sa défense et à amener un avocat). En revanche, et c'est un problème de taille, ce travail n'avait de sens pour nous, outre une défense strictement juridique optimale des inculpés, que pour permettre à l'ensemble du campement de répondre collectivement intelligemment et efficacement à la répression, afin de construire un rapport de force suffisant pour limiter les suites juridiques. La réponse politique était donc l'affaire de l'ensemble du campement et on peut dire que le campement n'a pas su réagir efficacement, sauf lors des premières arrestations où d'ailleurs, dès qu'une manif est partie en direction du commissariat, les personnes ont été libérées sans suites. Ensuite la peur a paralysé toutes les discussions, ce qui a eu deux effets pervers:
- nous empêcher de tirer profit du rapport de force réel qu'on pouvait avoir (l'exemple le plus frappant est celui de l'exode où tout le monde s'est satisfait comme d'une victoire de récupérer les deux interpellés à la fin de leur garde-à-vue et avec une date de procès. et que nous avons trouvé ça suffisant pour décider de partir alors qu'aucune force de police n'était déployée pour nous y contraindre.)
- l'équipe juridique s'est retrouvée malgré elle dans une position d'autorité, l'ensemble des participant-es au campement attendant d'elle qu'elle détermine la conduite à suivre, ce qui n'était absolument pas son rôle et qu'elle a à de nombreuses reprises refusé de faire sans pour autant que le camp trouve une façon de prendre en main ce problème. Au vu de l'incapacité réelle à réagir collectivement dans l'urgence, nous avons essayé d Œengager des discussions au sein des réunions de barrios sur la réaction possible à la répression, qui n'ont jamais abouti à des conclusions pouvant être mises en pratique.
Autre point négatif: la commission médias bourgeois avec laquelle nous avions besoin d'être coordonnés pour élaborer et envoyer rapidement des communiqués de presse au fil des arrestations. Nous avons fini par faire ce travail nous mêmes ce qui nous a pris beaucoup de temps et qui a contribué à renforcer cette position d'autorité dont nous ne voulions absolument pas. L'équipe juridique s'est parfois transformée en agence de presse, avec coups de fils à répétitions de journalistes alors que nous avions bien autre chose à faire, signe du non fonctionnement de la commission médias.
En revanche nous voulons souligner que les médias libres ont été tout à fait disponibles pour discuter des problèmes posés par la diffusion d'informations sur les interpellé-es et les circonstances de leur interpellation, qu'ils se sont réuni pour en discuter et ont proposé un texte établissement quelques règles minimales de fonctionnement. C'est à notre connaissance la première fois que cette question du rapport aux images et à la circulation des infos se pose de façon assez sereine pour que les choses progressent.
Après le campement
L'équipe juridique a pu continuer à fonctionner avec ceux qui avaient préparé le campement et ceux qui l'avaient rejoints ensuite (beaucoup ont passé une grande partie de leur mois d'août sur place). Des participant-es au campement sont restés un peu plus longtemps à Strasbourg pour aider à la mise en place des suites et pour faire face aux urgences immédiate (il a été ainsi possible de réagir très vite à la mise en isolement d'Ahmed et au refus de parloir en organisant une action ballons au dessus des murs de la prison quelques jours après la fin du campement). D'autre part, de nombreux strasbourgeois-es qui n'avaient pas participé à l'équipe juridique pendant le campement se sont investi-es dans la constitution d'un groupe de soutien aux inculpé-es sur Strasbourg. Un texte a été immédiatement élaboré pour que le fonctionnement collectif s'établisse sur des bases claires (voir Comment continuer en annexe). Les divers guides élaborés pour le campement sont toujours disponibles sur le site Noborder et peuvent être modifiés et complété pour servir à qui veut en d'autres occasion. Un collectif de sans papiers à Paris est par exemple en train de traduire le guide spécial sans-papiers en chinois
Le seul mode de fonctionnement collectif que nous avons trouvé est celui de la liste internet il-legalteam@lalune.org, ce qui n'est pas sans soulever de nombreuses difficultés: incompréhension diverses, fonctionnement franco-français sur la liste, embouteillages de messages sur des problèmes de fonctionnement qui empêchent toute réflexion à long terme. Le principe d'autonomie des collectifs de soutien dans le respect des trois principes simples nécessaires au fonctionnement collectif (cf. Comment continuer) s'est révélé relativement efficace même s'il a suscité diverses incompréhensions, sans doute faute de prendre le temps de se renseigner sur le mode d'organisation décidé collectivement. Personne n'a d'ailleurs proposé d'autres solutions. Il nous appartient tous de contribuer à ce que cette liste fonctionne de manière satisfaisante et intègre activement des non-francophones (il faudra à l'avenir faire plus d'efforts en matière de traductions).
La solidarité financière a permis de faire face aux diverses dépenses jusqu'à présent sans utiliser l'argent du campement, et de diffuser largement l'information sur les suites juridiques (des chèques de soutien, majoritairement individuels, arrivent de partout en France, des contributions collectives ont été envoyées d'Angleterre et d'Allemagne, un envoi de Grèce est en train de s'organiser).
Evaluation des trois principes posés pour le fonctionnement collectif
Rappel de ces principes que tout collectif de soutien doit accepter pour
travailler avec l'équipe juridique NoBorder:
- mise en commun de l'argent récolté pour tous les inculpés
- pas de contradiction entre les lignes de défense
- pas de dissociation avec les actions et l'organisation du campement:
Ces trois principes semblent efficaces puisqu'ils ont, par exemple, permis de fonctionner de façon satisfaisante avec le collectif parisien des amis d'Ahmed qui réunissait des proches du Mouvement Spontané qui n'avaient pas participé au campement et avec lesquels il n'y avait pas forcément d'unité politique. Mobilisés au départ uniquement pour le soutien à Ahmed, ils ont accepté de soutenir, y compris financièrement, l'ensemble des inculpés du campement. Nous souhaitons donc maintenir fermement ces principes de fonctionnement qui permettent l'autonomie des collectifs de soutien avec un minimum de cohérence générale. En revanche nous avons été amené à mettre entre parenthèse temporairement notre position sur le troisième de ces principes et à continuer à soutenir un des inculpés, Ahmed, alors qu'il a à de nombreuses reprises, aussi bien au tribunal qu'à la presse, exprimé une dissociation réelle vis-à-vis de certains modes d'actions du campement, allant jusqu'à déplorer, lors de l'audience d'appel, que la personne qui aurait commis l'acte dont il dit être injustement accusé ne soit pas inquiétée. La légèreté dont nous avons pu avoir l'air de faire preuve face à ces déclarations extrêmement graves (elles sont évidemment dommageables pour les autres inculpés du campement, considérés dès lors comme "les méchants" face à Ahmed le gentil accusé par erreur) s'explique par le fait qu'Ahmed était incarcéré, en isolement, que nous n'avons pu avoir aucun parloir avec lui (seule sa famille a pu le voir) et n'avons donc pas pu lui laisser le choix d'être soutenu ou non par l'équipe juridique et d'adapter ses déclarations au fonctionnement collectif s'il choisissait d'en bénéficier (ce qui ne changeait absolument pas sa ligne de défense puisqu'il est tout à fait possible de démontrer son innocence sans se dissocier et réclamer la condamnation d'autres participant-es). Nous avons donc décidé que vu la gravité de sa situation, la solidarité primait. Nous tenons, en revanche, maintenant qu'il est sorti de prison, à prendre publiquement nos distances vis-à-vis de telles déclarations et ne voyons pas comment continuer à être solidaire avec lui, alors même qu'il se dissocie des autres inculpés. Les procès d'Ahmed ont soulevé un point important que nous n'avions pas débattu auparavant: la nature des procès à envisager. En effet, nous sommes entrés en conflit avec l'avocat sur le type de défense. Il nous semblait évident (surtout pour l'affaire d'Ahmed qui a été clairement l'objet d'un traitement particulier de la part du parquet et de l'administration pénitenciaire) d'opter pour un procès offensif: c'est-à-dire faire le maximum de bruit autour du procès, ramener la maximum de témoins à la barre, bref de créer un rapport de forces conséquent. La ligne choisie par l'avocat a été au contraire un procès de "défense passive": arrangement avec le juge, on reste discret (allant jusqu'à nous cacher des pièces du dossier pour ne pas avoir à les soulever). En désaccord profond avec cette option, nous n'avons pas cependant été en mesure d'y changer quoique ce soit car nous nous en sommes rendu compte beaucoup trop tard. Cette erreur est principalement dûe à un manque d'expérience et à un problème de communication avec le collectif de Strasbourg. Elle confirme notre opinion générale sur le rôle des avocats: ce sont des conseillers, en aucun cas on ne doit leur laisser le champ libre sur la tactique générale. Forts de cette première expérience, nous ne laisserons plus ce genre d'épisode se reproduire.
Evaluation de la mobilisation et suggestion de débats Une mobilisation internationale conséquente a eu lieu pour le procès d'Ahmed fin août avec une coordination relativement efficace des diverses initiatives (communiqué envoyé le soir même avec mentionnant presque la totalité des initiatives). Le procès en appel d'Ahmed le 8 octobre a fait l'objet de beaucoup moins de réactions, sans doute aussi parce que l'appel à actions décentralisé n'a pas été largement communiqué et que l'initiative n'a pas fait l'objet d'une préparation suffisamment suivie. Nous lançons dès maintenant un appel à idées et à débats pour l'organisation de la réaction face aux procès de février et de mars (février pour tous les autres inculpés du campement, mars pour les 3 personnes arrêtées devant l'occupation du ministère de la justice pour obtenir un parloir pour Ahmed et sa sortie d'isolement): présence massive sur place? pour faire quoi? actions décentralisées coordonnées? c'est à l'ensemble de ceux qui sont solidaires des inculpés de réfléchir à des propositions. Nous rappelons aussi que l'effort financier en doit pas faiblir ! et que le meilleur moyen de ne pas se noyer dans la réaction à la répression reste que les initiatives de soutien soient l'occasion de diffuser largement le contenu politique du campement. Il nous semble par ailleurs que l'ampleur de la répression qu'a subi le campement est liée au contexte sécuritaire français et européen et que la mobilisation pour les inculpés peut être l'occasion de s'organiser contre l'ensemble des dispositifs sécuritaires et le contrôle social (par exemple la LSQ et la LSI en France) comme le propose par exemple le réseau Halte à la Répression principalement animé par un groupe de Saint Etienne.
Voir le texte Campement NoBorder: les suites pour un bilan complet des suites juridiques à ce jour.
Il-legalteam in exile.